[Mise en Scène] - Le jeu d'acteur des personnages

Tous les dessins dans cet article appartiennent à la talentueuse illustratrice Diglee, ils sont utilisés et publiés ici avec son aimable autorisation.

Nous allons voir comment Diglee a mis en place et utilisé un jeu d'acteur sur son alter-ego en BD pour raconter une histoire sur ce strip : http://diglee.canalblog.com/archives/2009/05/26/13858773.html . Je vous invite à aller le lire avant d'entamer cet article afin de l'appréhender dans son ensemble. Dans l'article je vais le déstructurer, et donc perdre le rythme de lecture qu'il doit avoir pour fonctionner pleinement.

Je ne reviendrai pas sur le parallèle évident qui existe entre la BD et le cinéma ou tout au moins le fort rapport qui existe entre la BD et les storyboards établis en pré-production d'un film. Une BD est un storyboard cleané, encré et éventuellement mis en couleur, bref ! Un storyboard plus abouti si on peut dire.
Au-delà des outils de mise en scène qui sont détaillés dans cette section (les plans, les formats etc.), il y a bien entendu les personnages et les émotions qu'ils peuvent faire passer par leurs actions et par leur jeu d'acteur. Le jeu d'acteur pour un personnage est, comme pour un véritable acteur, fondamental pour transmettre immédiatement des émotions, des ambiances, cela passe par l'expression du visage bien entendu mais aussi par le langage du corps. Un personnage abattu ne se tiendra pas de la même manière s'il est joyeux, excité, fier etc.

Le strip de Diglee est très intéressant de ce point de vue car tout se joue sur les expressions de son alter-ego tout au long de la narration. Nous allons voir ça :

Dans un premier temps, remettons les choses dans le contexte. Ici Diglee se met en scène et parle directement à ses lecteurs (c'est d'autant plus frappant dans ce strip puisqu'elle explique le pourquoi du comment d'un strip précédent où elle les avait mis à contribution), un peu comme le présentateur d'une émission de télévision. On a donc un plan rapproché (encore appelé plan poitrine) et le personnage qui s'exprime. On est d'accord que ça pourrait vite être ennuyeux, un plan rapproché de face répété avec simplement le texte des bulles qui changent. Hors ici, Diglee fait bouger son personnage, lui donne des attitudes, des moues et des poses ou tout le corps est engagé. On a vraiment l'impression d'être en face d'elle et de l'écouter nous raconter son anecdote. Bref ! Elle dynamise le strip et retient notre attention de cette manière.

Ici elle illustre ses propos et le personnage narrateur disparaît pour introduire un autre personnage dont elle nous parle. Là aussi, elle exacerbe le jeu d'acteur de ce second personnage pour rendre tout ceci plus dynamique, vous vous doutez bien que son amie ne s'est pas mise à genou pour la solliciter. Il y a bien entendu un côté caricatural et humoristique clairement mis en place qui passe là aussi par un jeu d'acteur. Voir cette jeune femme la supplier à genou a plus d'impact qu'un plan rapproché avec les deux filles de profil entrain d'avoir la même discussion. Enfin, cette transposition de l'action en flashback permet de casser la narration (et donc de la dynamiser) afin d'éviter l'ennui du plan poitrine répété du début.

Nous revenons au présent, Diglee nous donne la réponse qu'elle a faite à son amie plus d'autres informations sur la teneur de sa requête. A nouveau, elle donne un jeu d'acteur au personnage et ici on peut même dire qu'elle fait surjouer la petite Diglee numérique afin de rester dans cet aspect humoristique et caricatural. On sent clairement qu'elle crève d'envie de faire ces photos de mode même si elle prétend le contraire avec différents arguments. Ensuite, elle introduit la suite de son histoire en disant que tout ne s'est peut-être pas passé comme elle (Diglee) l'imaginait.

Nous repassons dans une phase d'illustration des propos de la narratrice avec un flashback sur les coulisses de la préparation de cette séance de photos. On reste dans le registre de l'humour et de la caricature où la mise en scène appuie sur le côté rigolo (voire un peu ridicule pour Diglee) de cette préparation. Les bigoudis n'étant pas l'accessoire-roi en terme de glamour et la séance de maquillage ne semble pas avoir été aussi agréable qu'elle ne l'avait pensé. Là encore, le jeu et les expressions des personnages dépeintes appuient les scènes représentées et le sentiment que la dessinatrice veut faire passer.

Retour au présent. Diglee introduit la fin de son strip et encore une fois, le jeu d'acteur est présent, ce n'est pas un simple plan poitrine de face, elle bouge encore, le langage du corps appuyant les propos qu'elle tient dans la bulle.

La dernière partie du strip, il s'agit à nouveau d'un flashback où on suit la narratrice au moment où elle va découvrir le travail auquel elle a participé. Les photos qu'elle attend depuis un moment (et nous aussi, il faut le bien le dire) sont disponibles et elle va les découvrir.A partir de ce moment c'est bien simple, ici tout repose sur le jeu d'acteur de la Diglee numérique, il n'y a plus de paroles, seulement une narration off en conclusion. Elle rêve à de superbes photos, puis est excitée comme une puce à l'idée de les découvrir sur son MAC et... (grosse) déception !
Tout ce que j'explique là c'est ce qui est induit par le jeu d'acteur du personnage, on reste en plan rapproché, les points de vue et les cadrages ne sont pas plus importants que ça dans cette phase, c'est surtout voir la bouille et les réactions du personnage qui soutiennent notre attention et qui rendent l'humour et l'aspect caricatural de l'ensemble.

Il est donc important de réellement faire vivre vos personnages. Ce strip en est un exemple flagrant. En dessin il est d'usage de dire qu'il faut exagérer les actions, les poses, mais il est intéressant de noter qu'exagérer le jeu d'acteur est important aussi. Comme le strip de Diglee est basé sur l'humour et la caricature, elle va même plus loin en faisant surjouer son personnage. Ce qu'il faut retenir c'est que retenir l'attention du lecteur et donner un posing et un jeu d'acteur cohérents aux personnages n'en facilitent que plus la lecture et l'impact sur le lecteur. Il n'y a rien de pire que d'ennuyer le lecteur et même si ce qui est raconté dans les bulles et intéressant, voire génial, il pourrait passer à côté à cause d'une mise en scène et un jeu d'acteur pauvres. Tout ceci ne tient d'ailleurs pas au niveau en dessin que vous pouvez avoir (on est d'accord que ça aide grandement, ne nous voilons pas la face) mais bien à la mise en scène efficace et appropriée que vous saurez mettre en place, la base du jeu d'acteur s'imposera d'elle-même, il ne vous restera qu'à appliquer le ton que vous souhaitez employer.